lundi 27 décembre 2010

JEU DE PAUME présente André Kertész en rétro

Il crée avec le désir de traduire son émotivité et non pour montrer.

La rétrospective qu’a faite le Jeu de paume des quelques soixante-dix ans de pratique photographique de Kertész est hallucinante.

L'expo est (sur)chargée, le public varié, les spectateurs (Maxime et moi) conquis et épuisés.

Une amie m'avait grossièrement résumé son expérience en disant: "ya que des très petites photos, ça m'a saoulée."

Pour ma part, l'expérience a été transcendante: l'objet photographique se manifeste entièrement. La première portion de l'exposition présente des contacts de 10x15cm, photographiés avec le Georz Anschütz Ango qu'utilisait l'artiste au début de sa carrière. Incursion dans ce qui était un Budapest quotidien touchant, les vitrines sur le banal sont chargées de familles, de folklore, de beauté. Puis, le parcours obligé d'André Kertézs le mène vers la photographie dans l'armée, à Paris, puis à NYC.

Formellement, plusieurs récurrences dans le travail touchant du photographe ont retenu mon attention: entre autre, les photographies de nuit, dramatiques, émouvantes, presque théâtrales. J'ai été frappé par Budapest, 1914, qui propose une vision plutôt lugubre de la nuit, mais la sensibilité avec laquelle Kertész montre les textures de ce tableau (pavé, ciel, ciment...) m'apaise plus qu'elle ne m'angoisse. Square Jolivet, Paris, 1927, toute aussi imposante dans sa dramaturgie, propose une vision privilégiée d'un état particulier qui règne sur un lieu presque magique.

L'exposition, disposée sur deux étages, revisite les différentes approches de Kertész: commandes de magazines, publicités, carnets de voyage, série de polaroïdes, produite en 1977, avec le premier SX-70 qu'il a acheté. Seuls tirages en couleur de l'exposition, cette série intitulée From My Window, est celle qui m'a (de très loin) le plus touché. À la disparition de sa femme Élisabeth, en 1977, Kertész continue de créer, mais son regard, teinté par l'émotivité légendaire motrice de sa création, est changé. Il réalise la série en y mettant au centre une sculpture de verre représentant deux têtes. Il écrit, au sujet de cette série, qu'il aime voir Élisabeth en ces formes, qu'il l'entrevoit dans les édifices qui sont déformés par le verre. Cette série nostalgique m'a ému et j'ai du apprécié les couleurs telles qu'exprimées par Kertész. En y pensant bien, il est assez amusant de penser que ces cinquante-trois images couleur sont, en fait, des images où le photographe n'a pas techniquement manipulé lesdites couleurs.

La Martinique, 1er janvier 1972

Dernièrement, l'image intitulée La Martinique, 1er janvier 1972, un auto-portrait (?) plutôt lugubre de l'artiste, m'a aussi marqué par sa valeur de mise-en-scène qui, me semble-t-il, est très naturelle. Le commissaire souligne la période dépressive de la vie/carrière de l'artiste et l'illustre par diverses images créées à NYC entre 1936 et 1962. Cette période est intitulée Un nuage égaré, faisant référence à l'image Le nuage égaré, NYC, 1937, et se veut dénonciateur de son état d'immigrant européen en terres américaines où la vie d'artiste était difficile et torturante.

J'ai adoré l'exposition dans son aspect de rétrospective de l'oeuvre de Kertész. Il s'agit d'une parcours dont j'avais bien besoin pour ma culture générale. Cependant, un détail m'a dérangé. Maxime l'a souligné: il semble qu'à aucun moment La France n'est prête à accepter/mentionner que l'artiste juif qu'a été Kertész (et sa femme Élisabeth Sali [originellement Salomon]) a "fui" l'europe en octobre 1963 pour des raisons politiques évidentes. Dans le texte de présentation du commissaire, il est écrit:

«
Le départ d'André Kertész pour NYC en octobre 1936 est motivé par un contrat de l'agence Keystone (qui sera rompue très rapidement). Ses réticences à l'égard de la photographie de mode, le rejet de ses reportages qui "parlent trop" selon les responsables de Life, l'incompréhension que suscite ses Distorsions mènent lentement Kertész à la dépression. La guerre et la limitation de liberté d'un photographe "étranger" ne font qu'ajouter aux difficultés.
»
Alors le résultat cette expo a été plus que spirituelle et sensitive, il a été politique. j’ai pris conscience de la réalité de milliers d’artistes européens du XXe siècles qui ont été victimes de l’holocauste et qui sont, hypocritement, décrits comme des expatriés professionnels plus que des victimes de racisme…


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André Kertézs @ Jeu de Paume
28.09.2010@06.02.2011